PSAN, MiCA et régulation : La Polynésie Française, Eldorado pour les cryptomonnaies ?
Alors que le « Projet de loi Finances 2025 » fait souffler une tempête fiscale en métropole, et que le règlement MiCA pèse comme une menace, la Polynésie Française pourrait, à l’abri de ses lagons, dessiner un cadre réglementaire plus souple. Un environnement favorable qui attirerait investisseurs et entreprises fintechs vers Tahiti.
La régulation des cryptomonnaies en France métropolitaine est une question épineuse. Ses implications sont importantes pour les investisseurs et les prestataires de services financiers.
Pour rappel, la loi PACTE de 2019 a ouvert la voie en introduisant le statut de PSAN (Prestataire de Service en Actifs Numériques), un cadre juridique unique en Europe. Critiqué et critiquable, ce statut de PSAN a permis pendant quelques années toutefois de proposer un cadre réglementaire à notre écosystème.
Cependant, avec l’implémentation progressive du règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) un nouveau cap s’apprête à être franchi. Dans ce marasme administratif, le Projet de Loi de Finances (PLF) 2025 apporte également des nouveautés qui affecteront l’épargne et la fiscalité des cryptomonnaies en France métropolitaine.
Véritable chamboule-tout pour de nombreux français, l’introduction de nouvelles règles, comme l’augmentation de la flat tax, l’intégration des cryptomonnaies à l’IFI ou l’allongement du délai de reprise fiscale, risquent d’alourdir le fardeau fiscal des épargnants, tout en visant à réguler davantage les actifs numériques.
En parallèle, la Polynésie Française pourrait traverser plus en douceur cette tempête. En cause, une régulation plus clémente, et une économie différente propre aux pays insulaire, et qui par ses problématiques peut trouver un sens économique et social à la mise en place d’un cadre clément pour les investisseurs. Explications.
Régulation et cadres applicables en Polynésie en matière de crypto-actifs
Le statut PSAN
De la loi PACTE est notamment né le statut PSAN ou Prestataire de Service en Actif Numérique.
Le PSAN est lui-même composé de 2 degrés : l’enregistrement et l’agrément.
L’enregistrement est obligatoire pour toutes les entreprises fournissant des services liés aux actifs numériques comme l’achat, la vente ou la conservation d’actifs. Il assure que l’entreprise respecte les standards minimaux en termes de lutte contre le blanchiment d’argent (AML) et la protection des investisseurs.
L’agrément, quant à lui, est optionnel mais apporte un gage supplémentaire de sécurité. Il nécessite des exigences plus strictes en matière de solidité financière et de contrôle interne.
Une entreprise doit demander et obtenir l’enregistrement PSAN dans les cas suivants :
- conservation d’actifs numériques ;
- et/ou achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;
- et/ou d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ;
- et/ou l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques,
Au moment de la rédaction, près de 110 entreprises disposent de l’enregistrement PSAN
Quant à l’agrément, il constitue aujourd’hui encore un palier quasi-infranchissable tant les exigences et contraintes (calquées sur la finance plus traditionnelle) sont quasi-impossibles à assumer pour de jeunes sociétés, bien souvent en mode start-up. De fait, au moment de la rédaction, une seule entreprise est parvenue à décrocher le fameux sésame et il s’agit…. d’une banque, en l’occurrence la Société Générale, via sa filiale spécialisée FORGE.
C’est l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) qui est en charge de superviser le statut PSAN.
La réglementation MiCA
Le PSAN, notamment dans sa partie « Agrément », la plus difficile, a largement inspiré le développement d’un cadre européen applicable à l’ensemble de l’UE : MiCA ou Markets in Crypto-Assets.
MiCA a commencé à progressivement s’appliquer à partir de juin 2023 et poursuit actuellement son déploiement.
La réglementation MiCA s’intéresse à de très nombreux aspects de l’industrie crypto :
- achat et trading d’actifs ;
- conservation par des exchanges et des tiers spécialisés ;
- sujet stratégique des stablecoins (des cryptoactifs adossés à des monnaies classiques comme l’€ ou le $) ;
- empreinte écologique du minage et du staking de cryptomonnaies…
In fine, MiCA vise à offrir un cadre européen harmonisé qui concernera fondamentalement :
- l’offre au public et l’admission aux négociations de jetons ;
- la fourniture de services sur crypto-actifs par des prestataires ;
- la prévention des abus de marché sur crypto-actifs.
MiCA sera applicable partir du 31/12/2024.
Cependant, les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) ayant obtenu un enregistrement « simple », un enregistrement « renforcé », un agrément optionnel auprès de l’Autorité des marchés financiers ou fournissant les services non soumis à enregistrement obligatoire disposeront de 18 mois pour se mettre en conformité et ne pourront dans cet intervalle que s’adresser au public français.
À partir du 1ᵉʳ juillet 2026 au plus tard, toutes les sociétés FR actuellement PSAN devront cependant avoir obtenu un agrément MiCA pour continuer à maintenir leurs services.
MiCA : quelle situation en Polynésie ?
En PF, le statut PSAN s’applique au même titre qu’en France métropolitaine.
Cependant, à date aucune entreprise ou prestataire de service immatriculé en Polynésie n’a sollicité d’enregistrement PSAN.
Cette situation s’explique d’une part, par le tissu économique crypto encore embryonnaire sur le Fenua, l’absence de demande des consommateurs pour une prestation locale (les offres métropolitaines et internationales s’avérant suffisantes) et par le coût d’un tel enregistrement (500k euros pour la mise en conformité et 300k euros/an pour le maintien de structures de compliance notamment).
Parmi les acteurs francophones qui voyagent jusqu’à nous, Deblock fait partie de ceux qui se démarquent.
Deblock en Polynésie Française
Deblock est en capacité depuis son lancement de distribuer ses services en Polynésie Française (et d’une manière générale dans les collectivités françaises du Pacifique, jusqu’à Wallis-et-Futuna) car l’entreprise dispose des visas et enregistrements nécessaires à l’exercice de ses activités :
- Enregistrement PSAN (AMF)
- Licence EME (Établissement de Monnaie Électronique, ACPR/Banque de France/IEOM)
- Enregistrement Regafi (Registre des Agents Financiers)
Plus largement, Deblock au même titre que la grande majorité des acteurs sérieux de l’industrie française et européenne se présente comme “MiCA ready”, c’est-à-dire déjà en pré-conformité avec le cadre applicable à partir du 31/12/2024.
Cinq questions concernant l’application, ou la non application en Polynésie Française du règlement MiCA
L’application du règlement MiCA n’est pas automatique en Polynésie Française, et au regard du degré d’autonomie du territoire, MiCA doit faire l’objet d’une transposition dans plusieurs codes locaux.
Dans ce contexte, l’assemblée polynésienne a reçu le 12 août 2024, deux projets d’ordonnances directement liées à MiCA :
- Renforcement des obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme portant sur les transferts de crypto-actifs ;
- Marchés de crypto-actifs.
Ces 2 ordonnances ont fait l’objet d’un projet de rapport, suivi d’un avis défavorable rendu par l’Assemblée à l’occasion d’une Commission des Finances le 15 octobre 2024 (essentiellement pour des raisons de forme et de complexité s’agissant de la conversion en « Loi de pays » dans les nombreux textes concernés par MiCA).
La lutte contre le blanchiment étant du ressort souverain de l’état, cet avis défavorable pourrait cependant n’avoir qu’un impact limité s’agissant de la transposition du règlement MiCA en Polynésie. En revanche, les difficultés de transposition formelle pourraient bien retarder l’applicabilité de MiCA sur le territoire.
L’application ou la non-application de MiCA serait-elle de nature à modifier ou compromettre le paysage “crypto-économique” naissant en Polynésie ?
Probablement pas. Comme dit plus haut, les acteurs économiques crypto européens relevant de la réglementation MiCA ou ne pouvant exercer leurs activités qu’avec un agrément bancaire (ou de l’Autorité des Marchés Financiers), actifs en Polynésie Française sont tous tenus par le cadre associé à la domiciliation de leurs siège social, en France dans la majorité des cas (et par exception, en Europe).
Existe-t-il un risque de voir des acteurs non-régulés (i.e non-européens, et donc non-concernés par MiCA) débarquer en Polynésie Française ?
Outre le fait que quiconque en Polynésie peut en quelques clics (ou à l’aide le cas échéant d’un VPN) souscrire à des services « exotiques » en matières de crypto-actifs, un acteur étranger ne pourrait pas cibler commercialement la Polynésie Française sans être lui-même PSAN (jusqu’au 1er juillet 2026 au plus tard), ou conforme MiCA après le 31 décembre 2024.
La non-application de MiCA en Polynésie Française affecterait-elle les dispositifs de protection AML-CT?
Rappel :
- AML : Anti-money Laundering, lutte contre le blanchiment
- CT : counter-terrorism, lutte contre le financement du terrorisme
- KYC/KYB: vérification de l’identité des consommateurs/Personnes morales
- Travel Rules : réglementation mise en place en 2019 par le Financial Action Task Force (FATF/GAFI). La Travel Rules permet d’associer les transactions crypto à des éléments d’identités et de localisation, au-delà d’un certain montant (entre 1000 et 3000$ généralement)
Les protections AML-TC et les normes KYC de MiCA sont directement inspirées du niveau « enregistrement » PSAN de l’Autorité des Marchés Financiers.
Plus globalement, on constate désormais que les acteurs majeurs de l’écosystème, qu’il s’agisse de fintechs comme Deblock ou encore la fintech Wigl, de plateformes d’exchanges, ou de prestataires de services crypto pour particuliers et entreprises, se conforment aux mêmes standards de compliance que les banques traditionnelles.
Si on ajoute à cela que les études convergent pour relativiser le risque global de blanchiment par le truchement de crypto-actifs, rapporté au contexte polynésien, le risque apparaît minime, dès lors que les standards PSAN s’appliquent.
Existe-t-il des externalités positives à la non application de MiCA en Polynésie Française ?
Le développement d’un secteur crypto florissant et encadré en Polynésie est un puissant vecteur économique et de développement.
Certains acteurs pourraient voir comme un avantage supplémentaire un environnement réglementaire polynésien moins contraignant, les incitant en cela à développer encore plus leurs activités sur le Fenua, ce d’autant que le contexte économique et l’actualité autour de la flat taxe en France sont également à prendre en compte.
La non-application de MiCA pourrait-elle avoir des incidences concernant la souveraineté actuelle et future de la Polynésie ?
Le « sujet crypto » a un fort potentiel pour la Polynésie dans la décennie qui vient, non seulement d’un point de vue strictement économique, mais également par sa nature même, en tant qu’outils d’émancipation et d’autonomisation du pays.
A ce titre, ne pas appliquer stricto sensu un cadre européen adapté… à l’Europe, mais plutôt mener des concertations pour l’émergence d’un cadre réglementaire, fiscal et légal original et propre à la Polynésie représente peut-être une idée intéressante pour l’avenir.
Si l’Europe et la France renforcent leurs régulations pour suivre la croissance exponentielle des cryptomonnaies, il en va de même pour la Polynésie Française, bien que dans un contexte plus embryonnaire.
Tandis que les acteurs locaux cherchent encore leur place dans ce marché mondial, les mesures à venir, telles que MiCA, devront être adaptées à la réalité économique du Fenua. La Polynésie pourrait, dans le futur, travailler à un cadre plus spécifique pour favoriser l’émergence d’un secteur crypto local tout en répondant aux impératifs réglementaires européens. À l’image des îles Palaos qui semble avoir déjà un coup de pagaie d’avance dans cette course crypto.