Ces petits pays qui misent sur le minage de Bitcoin : l’Éthiopie
De plus en plus de pays comme l'Éthiopie se tournent vers le Bitcoin (et plus particulièrement son minage) pour s'émanciper des systèmes financiers traditionnels. A la clé, une redéfinition des futurs équilibres de puissance ?
Alors que les puissances mondiales comme les États-Unis et la Chine dominent les conversations sur le Bitcoin, certains pays moins médiatisés se positionnent discrètement pour tirer leur épingle du jeu. Nous vous parlions, par exemple, du Bhoutan il y a quelques semaines.
Mais, la petite nation himalayenne n’est pas le seul territoire à s’aventurer dans le grand bain Bitcoin. L’Éthiopie, en particulier, se révèle être un acteur émergent et ambitieux. Ce pays d’Afrique de l’Est consacre déjà 600 MW de son énergie au minage de Bitcoin, un chiffre qui devrait croître à mesure que les infrastructures se développent. Mais, derrière cette montée en puissance technique se cache une stratégie plus vaste : l’utilisation du Bitcoin comme levier pour une transformation géopolitique et macroéconomique. Retour sur le grand rêve de cette petite nation.
Le pari BTC : une opportunité à saisir pour les économies en difficulté
Pour comprendre pourquoi des pays comme l’Éthiopie se tournent vers le Bitcoin, il faut replacer cette stratégie dans un contexte global.
Ces petits pays, qui n’ont pas le poids économique des grandes puissances, doivent faire preuve de créativité pour trouver des sources de revenus alternatives. Le Bitcoin, en tant qu’actif numérique décentralisé, représente une opportunité unique : celle de se positionner dans une nouvelle économie, tout en profitant d’un secteur encore peu régulé à l’échelle mondiale.
En Éthiopie, où environ 40 % de la population n’a toujours pas accès à l’électricité, le gouvernement a décidé d’utiliser son surplus énergétique pour miner du Bitcoin. Cette décision est avant tout pragmatique : au lieu d’investir des milliards pour exporter l’énergie vers des pays voisins, l’Éthiopie peut désormais convertir son excédent en un actif numérique très prisé, générant des bénéfices immédiats.
Cette stratégie n’est pas propre à l’Éthiopie. D’autres nations, comme le Salvador, qui a adopté le Bitcoin comme monnaie officielle en 2021, ou encore des pays africains comme le Togo, expérimentent également avec les cryptomonnaies. Ces initiatives sont souvent motivées par le même objectif : s’affranchir des contraintes imposées par les systèmes financiers traditionnels, dominés par des acteurs comme le FMI ou la Banque mondiale. De mêmes acteurs qui ont tendance à voir les cryptomonnaies comme un danger pour l’économie. Un peu à la manière de la théorie du crabe, vous connaissez ?
C’est une métaphore issue du comportement des crabes dans un seau. Lorsqu’un crabe tente de s’échapper pour retrouver sa liberté, les autres le rattrapent et le tirent vers le bas, l’empêchant de sortir. Ce phénomène illustre parfaitement les dynamiques sociales où, plutôt que de se soutenir, ceux qui sont encore « prisonniers » d’un système cherchent à retenir ceux qui essaient de s’en libérer. De la même manière, les institutions financières traditionnelles, voyant des pays tenter de s’émanciper à travers des solutions comme les cryptomonnaies, cherchent souvent à freiner ces initiatives pour maintenir leur contrôle et préserver le statu quo. Bref, revenons en non pas à nos crabes, mais à nos moutons.
Pourquoi l’Éthiopie mise-t-elle sur le minage de Bitcoin ?
Le minage de Bitcoin est une activité gourmande en énergie, car elle nécessite des machines puissantes pour valider les transactions sur le réseau. C’est ici que l’Éthiopie se démarque. Avec une capacité installée de 5 200 MW, principalement issue de l’hydroélectricité, le pays dispose de ressources abondantes et renouvelables.
Ethan Vera, cofondateur de Luxor Mining, société de mining, souligne que les fermes de minage éthiopiennes utilisent des machines comme les Antminer S19J Pro et les Canaan A1346, réputées pour leur efficacité énergétique. Ces machines sont optimales dans un environnement comme celui de l’Éthiopie, où le coût de l’électricité est faible et le climat frais limite les besoins en refroidissement des équipements. Ce contexte favorable a permis à l’Éthiopie de devenir rapidement actif dans le secteur, représentant 2,25 % du hashrate mondial du Bitcoin.
Cette exploitation énergétique du Bitcoin n’est pas un simple coup d’essai. En février 2023, le gouvernement éthiopien, via Ethiopian Investment Holdings, avait signé un accord de 250 millions de dollars avec la société hongkongaise West Data Group. L’objectif ? Développer l’infrastructure numérique pour soutenir le minage de Bitcoin, mais aussi pour former à l’intelligence artificielle.
Le Bitcoin, levier d’indépendance économique et de pouvoir géopolitique
Au-delà des bénéfices économiques immédiats, l’Éthiopie et d’autres pays « périphériques » misent sur le Bitcoin pour atteindre une plus grande indépendance financière. En effet, dans des pays où les devises locales sont soumises à de fortes fluctuations ou à des restrictions strictes, les cryptomonnaies offrent une alternative prometteuse. Le Bitcoin permet non seulement d’échapper à la volatilité des monnaies locales, mais aussi de contourner les institutions financières traditionnelles, souvent perçues comme contraignantes.
Pour l’Éthiopie, où la monnaie nationale, le birr, est sujette à l’inflation, le Bitcoin apparaît comme une opportunité pour intégrer une économie décentralisée et à la fois désormais mondiale.
En parallèle, cette utilisation du Bitcoin confère à l’Éthiopie un nouvel outil de soft power. À l’échelle régionale, le pays pourrait devenir une plaque tournante de la technologie en Afrique de l’Est, attirant des investissements étrangers et renforçant son influence sur ses voisins. Ce n’est, in fine, pas une coïncidence si de plus en plus de pays africains s’intéressent aux cryptomonnaies.
Bitcoin : le nouvel atout des petits pays
L’Éthiopie, comme d’autres nations émergentes, utilise le Bitcoin pour plus que des gains économiques immédiats. C’est un pari géopolitique qui pourrait bien renverser les équilibres mondiaux, une tentative d’émancipation vis-à-vis des institutions financières traditionnelles. Depuis que la Chine a banni le minage de Bitcoin en 2021, des opportunités se sont ouvertes pour des pays moins influents sur la scène internationale, leur permettant d’attirer des investissements et de renforcer leur poids dans les négociations globales. L’Éthiopie, avec son potentiel énergétique renouvelable, souhaite suivre l’exemple du Salvador, qui a su attirer l’attention mondiale en adoptant le Bitcoin comme monnaie légale.
Ces petites nations, au-delà de leur difficultés politiques , sont souvent perçues comme en marge de la mondialisation économique. C’est là que le Bitcoin entre en jeu, non seulement comme un outil financier, mais aussi comme un symbole de résilience et d’autonomie face aux géants économiques. Dans la chanson de Cesaria Evora, « Petit Pays », l’artiste chante l’amour et la nostalgie de son île, le Cap-Vert, un petit pays qui aspire à exister pleinement, malgré ses limites. Cette même quête d’identité et de place sur la scène mondiale résonne dans l’ambition de nations comme l’Éthiopie, qui, malgré leur taille et leurs difficultés, s’efforcent d’utiliser le Bitcoin pour redéfinir les règles du jeu.
Le véritable défi pour ces nations réside dans leur capacité à équilibrer développement technologique et besoins sociaux, notamment en assurant un accès équitable à l’électricité pour l’ensemble de leur population. Si l’Éthiopie parvient à harmoniser ces deux ambitions, elle pourrait devenir un modèle inspirant pour d’autres pays en développement. Le Bitcoin, bien plus qu’une tendance passagère, pourrait alors devenir un outil puissant pour remodeler les dynamiques économiques mondiales, donnant une chance à ces « petits pays » de briller sur la scène internationale, tout comme le chant de Cesaria Evora les élève dans l’imaginaire collectif.